Anatomopathologie

Ce chapitre est une introduction générale au diagnostic histopathologique de certaines lésions à potentiel malin de la muqueuse buccale (LPM) pour les médecins, les chirurgiens et les professionnels de santé. Les aspects clés abordés dans ce chapitre devraient permettre aux professionnels de santé d’avoir un aperçu du processus de diagnostic histopathologique afin de contextualiser le rôle du médecin pathologiste dans la prise en charge pluridisciplinaire des LPM. Il ne s’agit pas d’un texte exhaustif et il aborde les caractéristiques histologiques les plus courantes des LPM, à savoir les lésions lichénoïdes orales (LLO) et la dysplasie épithéliale orale. Les caractéristiques histologiques des autres LPM sont traitées ailleurs.

Un diagnostic histologique précis dépend du contexte clinique car certaines caractéristiques microscopique ne sont pas spécifiques et se retrouvent dans plusieurs pathologies. Certaines caractéristiques microscopiques gagnent en pertinence dans certains contextes cliniques, alors qu’elles pourraient autrement être considérées comme fortuites. Avant l’évaluation microscopique, le médecine anatomopathologiste a besoin de :

  1. Informations démographiques du patient ;
  2. L’histoire clinique et l’acpect de la LPM;
  3. Résultats sérologiques (le cas échéant) ;
  4. Les détails des biopsies précédentes et, peut-être le plus important ;
  5. Un diagnostic différentiel clinique incluant le degré de suspicion clinique de transformation maligne.

Cela souligne l’importance de fournir une information clinique claire et complète sur le formulaire de demande d’un examen anatomopathologique envoyé avec le prélèvement. Inversement, les cliniciens doivent toujours considérer le rapport d’anatomopathologie dans son contexte clinique ; le diagnostic histologique doit compléter, et non contredire, l’impression clinique. Une communication claire et ouverte entre les cliniciens et les anatomopathologistes est à la base d’une prise en charge efficace.

Lésions Lichénoïdes Orales (LLO)

  • Un groupe diversifié d’affections inflammatoires buccales comprenant, sans s’y limiter, le lichen plan oral (LPO), les réactions lichénoïdes (RL), le lupus érythémateux (LE) et la maladie du greffon contre l’hôte (GVHD), sont regroupées en raison de leurs caractéristiques histologiques communes.
  • Alors qu’elle peut être observée de façon isolée dans de nombreuses pathologie, c’est la combinaison d’une hyperkératose, d’une dégénérescence des cellules basales, de corps apoptotiques (Civatte), d’un infiltrat inflammatoire sous-épithélial et d’une exostose lymphocytaire qui constitue le fondement histologique de ce groupe (Figure 1).
  • D’autres constatations peuvent inclure une architecture perturbée des digittations épithéliales, une hyalinisation de la membrane basale et une incontinence pigmentaire.
  • C’est l’altération de la couche de kératine, et non le type ou la quantité, qui est importante. La couche de kératine peut se présenter sous forme d’ortho- ou de para-kératine et son étendue peut varier en fonction du site de la cavité buccale.
  • La liquéfaction des cellules basales entraîne un changement squamoïde basal (extension apparente de la couche de cellules épineuses à la membrane basale).
  • L’infiltrat inflammatoire est généralement à dominance lymphocytaire, avec très peu de plasmocytes, sauf en cas d’ulcération ou de présence de Candida. Il est typiquement dense et en bande, avec des degrés variables de tropisme épithélial des lymphocytes dans les couches cellulaires basales.
Anatomopathologie
Figure 1: Photomicrographie montrant les caractéristiques histologiques typiques des lésions lichénoïdes orales, notamment l’hyperkératose, l’atrophie épithéliale avec dégénérescence des cellules basales et un infiltrat lymphocytaire dense en forme de bande dans la lamina propria.
  • L’analyse des différences histologiques entre les lésion lichénoïdes orales s’est avérée non significative, mais certaines caractéristiques peuvent être plus spécifiques à certaines de ces lésions.
  • Les réactions lichénoïdes orales d’origine médicamenteuse et les réactions de contact peuvent présenter un infiltrat inflammatoire mixte plus diffus avec une plus grande fréquence de plasmocytes. On peut également noter une exocytose lymphocytaire s’étendant à la fois plus loin dans les couches suprabasales et dans la lamina propria plus profonde avec mise en évidence d’une inflammation périvasculaire et de follicules lymphoïdes.
  • L’hyperplasie des digitations épithéliales en forme de flamme est associée au LE, parfois suffisamment étendue pour former des zones d’hyperplasie pseudo-épithéliomateuse. Le bouchon de kératine profond observé dans les lésions cutanées du LE n’est pas présent dans les lésions de la cavité buccale, mais une extension de la kératine vers le bas peut être présente, donnant l’apparence d’une kératinisation de bas niveau.
  • La maladie du greffon contre l’hôte peut présenter des caractéristiques histologiques identiques au lichen plan buccal. La seule caractéristique régulièrement considérée comme plus évocatrice de la maladie du greffon contre l’hôte est que l’infiltrat lymphocytaire n’est pas aussi intense et, dans de nombreux cas, ressemble davantage à un aspect « brûlé ».
  • La présence de dysplasie ainsi que la présence d’une architecture épithéliale verruqueuse sont deux critères d’exclusion histologique pour toutes les lésions lichénoïdes buccales.
  • Le fait que les lésions lichénoïdes orales soient des LPM a longtemps été un sujet de controverse car de nombreuses lésions dysplasiques présentent une inflammation lichénoïde simultanée. De plus, il peut être difficile d’évaluer précisément la présence de dysplasie dans de nombreuses lésions lichénoïdes, en raison des couches de cellules basales altérées et de l’infiltration lymphocytaire entremêlée. Par conséquent, il est essentiel de toujours considérer la présence de dysplasie dans toute lésion lichénoïde.
  • L’inflammation lichénoïde est également fréquente dans les dysplasies épithéliales orales, en particulier celles qui présentent une architecture verruqueuse. Il a été suggéré qu’il s’agit probablement d’une réponse à la dysplasie au sein de ces lésions plutôt que d’une véritable association avec une lésion lichénoïde sous-jacente.
  • Dans une étude de McParland et Warnakulasuriya (2021) portant sur des cas connus de leucoplasie verruqueuse proliférative, 59 % avaient reçu un diagnostic clinique initial de lichen plan orale et 43 % des biopsies avaient présenté des caractéristiques lichénoïdes.

Bien que les lésion lichénoïdes orales partagent de nombreuses caractéristiques clinicopathologiques, ce sont leurs différences qui sont extrêmement importantes dans leur diagnostic . Ce n’est que par la compréhension de la présentation clinique et des résultats supplémentaires qu’un diagnostic correct peut être posé. L’interprétation de l’analyse histologique ne doit jamais être faite sans tenir compte du contexte clinique global.

Fibrose orale sous-muquueuse(OSF)

  • L’aspect histologique caractéristique de la fibrose orale sous-muqueuse est la présence d’une fibrose dense avec une vascularisation réduite de la lamina propria. Les lésions précoces peuvent être difficiles à diagnostiquer avant que la fibrose ne soit marquée. Des colorations spéciales, comme celle de Van Gieson, peuvent aider à visualiser la disposition parallèle des fibres de collagène.
  • D’autres modofications épithéliales telles qu’une hyperkératose et une atrophie épithéliale ont également été rapportées.
  • L’infiltrat inflammatoire peut être variable et peut même présenter un apsect inflammatoire lichénoïde. Il est important de rechercher la présence d’une dysplasie épithéliale à la biopsie, qui peut est observée dans 15 % des cas.

Dysplasie Epithéliale Orale (DEO)

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la DEO comme « un spectre de changements architecturaux et cytologiques associés à un risque accru de progression vers un carcinome épidermoïde ». Alors que les LPM sont attribuées à des présentations cliniques, la DEO est définie histomorphologiquement. Par conséquent, outre l’identification des caractéristiques histologiques associées à des troubles particuliers, le médecin antatomo-pathologiste tiendra également compte de la présence de dysplasie dans tout échantillon de biopsie de LPM.

  • Les changements architecturaux font référence à une désorganisation des tissus, tandis que les changements cytologiques indiquent une anomalie isolée des cellules (tableau 1).
  • L’OMS reconnaît plusieurs caractéristiques des DEO, mais il convient de noter que ces caractéristiques restent subjectives puisqu’il n’existe pas de critères morphométriques reconnus pour les définir.
  • En outre, prise isolément, chaque caractéristique individuelle peut également être présente dans des lésions récationnelles de la muqueuse buccale. Néanmoins, ces caractéristiques servent de critères de diagnostic et indiquent au pathologiste que la lésion peut contenir un potentiel de transformation maligne.
  • En plus des caractéristiques détaillées dans le tableau 1, on pourrait ajouter également une morphologie de surface verruqueuse, des processus de digitation se subdivisant ou bourgeonnant, une apoptose spontanée en l’absence de cellules inflammatoires intra-épithéliales, une ortho- ou para-kératose avec une démarcation latérale abrupte et un infiltrat lymphocytaire sous-épithélial imitant les lésions lichénoïdes orales.
  • Certains groupes utilisent également le terme de « dysplasie différenciée », à savoir l’expansion du compartiment suprabasal par de grandes cellules avec un cytoplasme éosinophile abondant et un œdème intercellulaire. Ces dernières caractéristiques architecturales sont fréquemment confondues avec des changements hyperplasiques réactifs.
Changements architecturauxChangements cytologiques
Stratification irrégulièreVariation anormale de la taille des noyaux
Perte de la polarité des cellules basalesVariation anormale de la forme des noyaux
Digitation épithéliale en crêteVariation anormale de la taille des cellules
Augmentation du nombre de figures mitotiquesVariation anormale de la forme des cellules
Kératinisation prématurée dans une seule celluleAugmentation du ration nucléo-cytoplasmique
Disposition anarchique des cellules épipthélialesFigures mitotiques atypiques
Perte de la cohésion intra-cellulaireAugmentation du nombre et de la taille des nucléoles

Hyperchromasie

Table 1. Critères morphologiques modifiés de la DEO selon l’OMS. La morphologie verruqueuse de la surface, la division des digitations épithéliales, l’apoptose spontanée, l’aspect bien démarqué de la kératose et la prolifération suprabasale volumineuse sont également des caractéristiques de plus en plus acceptées.

À l’heure actuelle, il n’y a pas de preuves indiquant que certaines caractéristiques devrait avoir une plus grande importance dans la prédiction de la transformation maligne. De plus, il semble y avoir une corrélation relativement faible entre les aberrations génétiques et les changements morphologiques. Par conséquent, lors de l’évaluation de la dysplasie, plutôt que d’appliquer une approche algorithmique basée sur certaines points, les anatomo-pathologistes entreprennent une vue d’ensemble des changements épithéliaux, en tenant compte du sous-site intraoral et de sa présentation clinique.

  • Il existe une corrélation positive entre la probabilité et le délai de transformation maligne avec des degrés croissants de dysplasie. Cependant, les valeurs prédictives publiées de la transformation maligne présentent de larges intervalles de confiance en raison de la faible reproductibilité inter-observateur, de l’hétérogénéité méthodologique et des périodes de suivi variables.
  • Les valeurs prédictives peuvent être améliorées en utilisant des analyses chromosomiques de ploïdie et de perte d’hétérozygotie en complément de la classification histologique, mais ces analyses ne sont actuellement disponibles que dans des centres hautement spécialisés ou de recherche.
  • La DEO ayant un spectre de changements morphologiques, la gradation histologique de la dysplasie est essentielle pour la prise en charge d’une LPM.
  • La plupart des centres utilisent un système de classification à trois niveaux pour la DEO : dysplasie légère, modérée et sévère (figure 2), le carcinome in situ étant synonyme de la dernière catégorie.
  • Ce système est en partie guidé par l’épaisseur de l’épithélium dans les tiers affectés par les changements architecturaux et cytologiques. Cependant, il convient de souligner que la dysplasie légère, modérée et sévère ne correspond pas nécessairement à des changements limités aux tiers basal, moyen et superficiel de l’épithélium, respectivement. Par exemple, il est possible que la dysplasie soit classée comme sévère bien que les changements soient limités au tiers basal, ce qui montre bien que la classification est une évaluation globale des changements morphologiques.
  • Néanmoins, comme les seuils entre chaque grade sont mal définis, la reproductibilité inter-observateur est faible.
  • Pour y remédier, certaines autorités préconisent un système de classement binaire (haut grade ou bas grade) et suggèrent des critères de distinction entre les grades.
  • À l’avenir, la reproductibilité pourrait être améliorée en intégrant des plateformes d’intelligence artificielle.
  • En définitive, l’objectif de tout système de gradation n’est pas la reproductibilité, mais de guider la prise en charge clinique dans un contexte pluri-disciplinaire.
  • Quel que soit la classification utilisée, l’attribution d’un grade par l’anatomopathologiste doit être claire pour le clinicien. Cela souligne la nécessité d’un travail travail pluri-disciplinaire pour prise ne charge efficace des LPM.
Figure 2. Exemples de A) dysplasie légère présentant une hyperchromasie et une augmentation focale du rapport nucléo-cytoplasmique limitée aux couches basales et parabasales, B) dysplasie modérée caractérisée par une stratification et une maturation désordonnées affectant la moitié de l'épaisseur de l'épithélium, et C) dysplasie sévère présentant des atypies architecturales et cytologiques dans toute l'épaisseur.
Figure 2. Exemples de A) dysplasie légère présentant une hyperchromasie et une augmentation focale du rapport nucléo-cytoplasmique limitée aux couches basales et parabasales, B) dysplasie modérée caractérisée par une stratification et une maturation désordonnées affectant la moitié de l’épaisseur de l’épithélium, et C) dysplasie sévère présentant des atypies architecturales et cytologiques dans toute l’épaisseur.

Les lésions hyperkératosiques présentent fréquemment Candida spp. des infections. La réponse réactionnelle (et donc réversible) de l’épithélium pavimenteux aux hyphes fongiques entraîne des changements phénotypiques qui ne peuvent être distingués de la dysplasie. Dans ces circonstances, il serait prudent d’envisager un classement histologique définitif de la DEO après élimination de l’infection à candida, réévaluation clinique et/ou nouvelle biopsie.

Dysplasie épithéliale orale associée au papillomavirus humain (HPV DEO)

  • On sait qu’un sous-ensemble de DEO est associé à des types à haut risque de papillomavirus humain (HPV), principalement le HPV-16.
  • Le virus induit des modifications épithéliales histomorphologiques quelque peu distinctes, à savoir un caryorrhexie, des kératinocytes apoptotiques suprabasaux isolés, des formes mitotiques abortives (corps mitosoïdes) et des cellules de type koilocyte variables dans les strates superficielles.
  • Ces caractéristiques morphologiques ne sont pas suffisamment spécifiques pour confirmer une étiologie virale, ce qui nécessite la recherche d’un HPV à haut risque .
  • La présence d’un HPV à haut risque biologiquement significatif peut être démontrée par une positivité forte et diffuse du bloc pour p16 (souvent avec une démarcation latérale nette), suivie d’une hybridation in situ pour l’ADN ou l’ARN viral.
  • En l’absence de modifications cytopathiques virales, le test HPV par PCR seul n’est pas suffisamment spécifique de la DEO HPV.
  • Des rapports anecdotiques de transformation en carcinome dans les DEOà HPV ont été rapportés dans de petites séries de cas, mais les taux globaux de transformation maligne restent actuellement inconnus.
  • Étant donné qu’il n’existe pas de système de classification reconnu, les DEO à HPV doivent pour l’instant être classées et gérées cliniquement selon les critères conventionnels.

Références et Lectures Complémentaires

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